Un monde à portée de main – Maylis de Kerangal

vagabondageautourdesoi-unmondeaporteedemains-wordpress-20181009 (3)Maylis de Kerangal propose son nouveau roman Un monde à portée de main.

Paula Kaast, jeune étudiante en mal de projet, décide de rejoindre une école de peinture  pour faussaire située à Bruxelles. Elle va s’immerger dans un microcosme dont elle ne connait rien : la peinture du faux-semblant, du trompe-l’œil et de l’illusion.

En racontant ses mois de formation puis celle de sa découverte du monde du travail qui l’amène à voyager de pays en pays, de Saint Pétersbourg à Cinecitté et à s’immerger dans son art, Maylis de Kerangal nous initie au domaine de l’illusion du relief, de la perception de la pierre et du mirage de la réalité.

Un monde à portée de main de Maylis de Kerangal est un roman qui relie la fiction, art de la mise en scène, du détail et du faux à la peinture, art de la même teneur imaginaire et de irréalité.

Évidemment, je ne regarderais plus jamais de la même façon une peinture murale, un plafond d’église ou le mur d’une pièce repeint pour figurer une ambiance.

Ce titre m’a fait penser à la Chapelle Sixtine lorsque Michel-Ange a dessiné la main puis le doigt de l’homme essayant de toucher Dieu, représentant, pour moi, la création et l’immensité. Ici Paula et ses collègues essaye de s’ouvrir à l’immensité du monde, l’histoire de la peinture, jusqu’à reproduire le tracé préhistorique, et le mystère de la création.

Le style est riche et Maylis de Kerangal livre presque un essai documentaire. Les mots de la technique sont magnifiques : anamorphose – glacis – poussière pléochroïque – etc. Il y a un vrai travail de documentation et une mise en situation remarquables. Seulement, la base romanesque est trop fine pour que je m’y sois sentie emportée !

En conclusion, Maylis de Kerangal signe un roman technique où la langue est somptueuse et immerge le lecteur dans le geste artistique afin de produire du faux. Mais, je n’ai pas été emportée par ce récit pourtant brillant !

 

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Paula s’avance lentement vers les plaques de marbre, pose sa paume à plat sur la paroi, mais au lieu du froid glacial de la pierre, c’est le grain de la peinture qu’elle éprouve. Elle s’approche tout près, regarde : c’est bien une image. Étonnée, elle se tourne vers les boiseries et recommence, recule puis avance, touche, comme si elle jouait à faire disparaître puis à faire revenir l’illusion initiale, progresse le long du mur, de plus en plus troublée tandis qu’elle passe les colonnes de pierre, les arches sculptées, les chapiteaux et les moulures, les stucs, atteint la fenêtre, prête à se pencher au-dehors, certaine qu’un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main, et partout son tâtonnement lui renvoie de la peinture.

Peindre les marbres, c’est se donner une géographie.

Elle n’est pas en mesure de réaliser que la précarité est devenue la condition de son existence et l’instabilité son mode de vie, elle ignore à quel point elle est devenue vulnérable, et méconnaît sa solitude. Certes, elle rencontre des gens, oui, beaucoup, la liste de ses contacts s’allonge dans son smartphone, son réseau s’épaissit, mais prise dans un rapport économique où elle est sommée de satisfaire une commande contre un salaire d’une part, engagée sur des chantiers à durée limitée d’autre part, elle ne crée pas de relations qui durent, accumule les coups de cœur de forte intensité qui flambent comme des feux de paille sans laisser de trace, désagrégés en quelques semaines, chaleur et poussière.

Il y a des formes d’absences aussi intenses que des présences.

L’idée que le trompe-l’œil est bien autre chose qu’un exercice technique, bien autre chose qu’une simple expérience optique, c’est une aventure sensible qui vient agiter la pensée, interroger la nature de l’illusion, et peut-être même – c’est le credo de l’école – l’essence de la peinture.

…Paula commence à peindre, condense en un seul geste la somme des récits et la somme des images, un mouvement ample comme un lasso et précis comme une flèche, car l’écaille de la tortue contient à présent bien autre chose qu’elle-même, ramasse les genoux écorchés d’une fillette de cinq ans, le danger, une île au fond du Pacifique, le bruit d’un œuf qui se lézarde, la vanité d’un roi, un marin portugais qui croque un rat, la chevelure ondoyante d’une actrice de cinéma, un écrivain à la pêche, la masse du temps et sous des langes brodés, un bébé royal endormi au fond d’une carapace comme dans un nid fabuleux.

Vient le temps des marbres…Les noms merveilleux se durcissent, ils imposent des codes de représentation stricts, un système de conventions, une syntaxe et un vocabulaire aussi rigoureux que ceux d’une langue. […] vert de Polcevera, mischio de San Siro, albâtre du mont Gazzo. Peindre les marbres, c’est se donner une géographie…

a noter

 

 

 

 

 

 

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Livre préféré des libraires 2018

Un monde à portée de mains – Maylis de Kerangal

Édition : Verticales

Parution : Août 2018

ISBN : 9782072790522

Lecture : Septembre 2018

Littérature contemporaine

Chroniques littéraires

6 commentaires

    • Tout à fait et du coup, le romanesque est relégué au second plan ce qui est dommage pour un roman !

  1. J’ai rencontré Maylis de Kerangal il y a quelques temps et j’ai son livre dans ma PAL….. Je lis des chroniques très diverses sur on roman et je vais bientôt me faire ma propre opinion. 🙂

  2. Bonjour Matatoune. Je n’étais pas tentée par ce roman qui semble avoir du succès et ce que tu en dis m’incite à ne pas insister. Bonne journée

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