Les loyautés – Delphine De Vigan

vagabondageautourdesoi-devigan-wordpress-1000381Moi, j’aime bien Delphine De Vigan.

J’ai adoré « Rien ne s’oppose à la nuit » qui décrivait le quotidien d’une femme maniaco-dépressive.

J’ai été happée jusqu’à la dernière ligne par « D’après une histoire vraie »me trouvant balloté entre deux sentiments contradictoires: Infos ou intox.

Alors, lorsqu’on annonce la sortie d’un nouveau livre, je ne peux que me précipiter! Aussi dès sa sortie, je me le suis procuré!

Delphine De Vigan voulait produire un livre haletant qu’on ne peut lâcher ! C’est réussi. J’ai même été obligée de le poser une journée, car j’aurais pu le finir d’un coup!

Pour obtenir cela, elle utilise un roman chorale de plus de 200 pages avec quatre personnages qui s’expriment en chapitres alternés, courts et condensés.  Ils sont liés par une situation où la loyauté s’éprouve, s’émousse, s’étire et se casse : la prof. de SVT, Hélène, le collégien Théo, son copain Mathis et la mère de ce dernier, Céline.

Delphine De Vigan parle de son travail d’écriture comme d’un « arc tendu qui prend le lecteur par le col pour l’amener où elle le souhaite ». C’est tout à fait ce qu’on ressent lors de la lecture : l’univers est posé et l’auteure en tire les ficelles à son gré. De plus, la fin est ouverte laissant le lecteur continuer le récit comme bon lui semble ! Moi, j’y ai vu la possibilité qu’enfin, la souffrance s’allège en même temps que la parole se libère ! Mon côté optimiste, en somme!

Le roman s’inscrit dans la modernité en décrivant certaines problématiques : le « Binge drinking », la capacité de l’école, mais aussi des parents, à protéger les enfants, la violence silencieuse adressée à l’enfant et l’adulte. Je n’en dirais pas plus tant le livre n’arrête pas d’être dévoilé dans les différentes présentation faites depuis sa sortie.

Comme son titre l’indique, le thème de la loyauté y est disséqué :

Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants –, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires.
Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.
Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves.

En décrivant des situations où ses personnages ont poussés au paroxysme ce sentiment, l’auteure en éprouve les limites à la fois dans les relations parents-enfants (Hélène et Céline enfants et Mathis) et aussi dans celles du couple (Céline avec son mari). Elle en explore les différents axes jusqu’au conflit de loyauté de l’ enfant qui ne peut choisir entre les avis contradictoires de ses deux parents (Théo). Cela qui peut mener à la folie, à la dépression ou, comme Théo, aux addictions de toutes sortes. Fidèlement décrites, ces situations sont plausibles et bien identifiées.

La description du rapport entre Théo et son père est, me semble-t-il, exposé de façon très réaliste. Cet enfant de 12 ans qui prend en charge son père depuis de nombreuses années est d’une justesse remarquable. Et, réduire cette situation a une défaillance de l’institution scolaire dans sa mission de protection est très mal appréciée ce qu’un enfant met de barrière et d’énergie pour protéger ses parents. Car, Théo protège sa mère tout autant que son père.

Et chaque fois, il lui semblait accueillir la souffrance de sa mère dans son propre corps. Tantôt c’était une décharge électrique, tantôt une entaille, ou un coup de poing, mais toujours son corps à lui se trouvait dans le prolongement de la douleur pour en absorber sa part.

Alors, oui, dans le roman, personne n’accueille la parole de cet ado. Mais, est-ce qu’un enfant maltraité psychologiquement dénonce ses parents! Delphine De Vigan décrit bien le cheminement lent de Théo qui accepte petit à petit de faire confiance à un autre adulte. Ce sont des faits (des marques de coups, de la négligence manifeste, un manque d’hygiène, etc) qui alertent les adultes, éducateurs, professeurs, infirmières, voisins, animateurs, etc. Le personnage d’Hélène s’en rendra compte comme une reconnaissance sans fait et sans mot. Et, les enfants savent identifier la capacité d’un adulte à écouter l’inaudible : Théo puis Mathis feront confiance à Hélène !

Car, pour entendre la maltraitance, les adultes doivent écouter les mots qui font mal et qui dérangent leurs représentations  à tel point que cela peut provoquer de la sidération. C’est une des raisons pour lesquelles il faut former, et former encore, les professionnels non pas pour qu’ils écoutent mieux mais pour qu’ils écoutent sans renvoyer de la culpabilité et de la défiance. Vous l’aurez compris, ce sujet me tient à cœur!

Un autre élément de justesse est, pour moi,  la description de l’état de grande mélancolie éprouvée par le père. Englué dans une dépression qui n’en a pas le nom, le père de Théo est affectivement, socialement et économiquement dépendant d’autrui. Mais malheureusement par démissions successives  des adultes, c’est son fils qui assume ce rôle. Puis-je révéler que le personnage de la mère de Théo m’est particulièrement antipathique : je la trouve, comme Hélène, extrêmement maltraitante tant elle est engluée dans son ressenti personnel qui au fil des années n’a pu absolument s’alléger et qui contraint son fils à la souffrance silencieuse ! Certes sa dépression est aussi marquée que celle de son ex-mari mais elle réussit à garder les apparences pour tenir  debout.  Malheureusement, elle ne prend pas conscience du malaise grandissant de son fils et son besoin d’aide.

Très vite, Théo a appris à jouer le rôle qu’on attendait de lui. Mots délivrés au compte-gouttes, expression neutre, regard baissé. Ne pas donner prise. Des deux côtés de la frontière, le silence s’ est imposé comme la meilleure posture, la moins périlleuse.

Un autre aspect  du roman est la description du rapport presque schizophrène  avec les réseaux sociaux. Cet aspect m’a beaucoup moins convaincu. Le père de Mathis et mari de Cécile,  plutôt inséré dans sa vie familiale et professionnelle, se découvre complétement différent sur les réseaux.

Chacun de nous abrite-t-il quelque chose d’innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, antipathique, se révélerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui-même de démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe ?

L’auteure nous donne sa réponse et j’avoue penser comme elle!

C’est donc, pour moi, un roman très réussi que nous propose de nouveau Delphine De Vigan. Complétement différent des précédents par sa forme, mais toujours tourné vers l’analyse de nos ressentis lorsque la machine s’enraille, ce roman a comblé mes attentes.  Parions que l’adaptation cinématographique devrait nous être proposée bientôt!

 

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Quand je repense à ce moment, au dernier regard qu’il m’a jeté avant de se réinsérer dans le flux, je sais que mon père a compris ce jour-là que j’allais les quitter. Que je le propulserais vers d’ autres mondes, d’autres manières, et qu’un jour sans doute nous ne parlerons plus la même langue.

Tout ce qui compte, c est que tu sois heureux. Si tu n ‘as pas besoin de moi, je vais partir, tu sais. Partir en voyage, peut être. Me reposer.

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